Présentation

Depuis toujours et pour des raisons variées, les centres d’artistes se tournent intuitivement vers le partage des ressources et des expertises afin de mieux soutenir leur mission et l’évolution de leurs organismes. Que ce soit pour des collaborations ponctuelles ou récurrentes, des partenariats à deux ou à plusieurs, ou encore pour des projets d’ampleur comme une intégration d’organisme ou une fusion, ces mises en commun – ou mutualisations – sont souvent animées par la volonté d’aller au-delà des capacités organisationnelles individuelles et de bénéficier d’une nouvelle synergie pour aller plus loin. Trop souvent freinés par des ressources limitées, les organismes ont tout avantage à se rapprocher les uns des autres, même si les démarches et réalisations communes peuvent amener avec elles leur lot de défis et de complexité.

Pour soutenir les centres d’artistes autogérés dans ces processus, le RCAAQ avait offert en 2019-2020 la formation Mettre en commun savoirs et ressources : la mutualisation avec George Krump. Découlant de cette formation, le présent Petit Guide orange du partage des ressources et de la mutualisation souhaite stimuler une réflexion plus approfondie sur les manières et les occasions de s’engager dans une relation de partage et de collaboration avec d’autres. Le guide cherche à démystifier les termes et notions liés à la mutualisation, et propose une panoplie d’outils pratiques dans le but d’aborder ces processus avec méthode et lucidité.

Le Petit Guide orange du partage des ressources et de la mutualisation est le quatrième ouvrage de la collection des Petits Guides du RCAAQ. Nous espérons qu’il vous sera utile dans vos démarches de développement organisationnel et dans l’expérimentation de solutions communes, face aux nombreux défis qui se présentent à notre milieu.

Catherine Bodmer, coordonnatrice à la formation et au développement professionnel
Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec

1. Introduction

De temps à autre, on voit apparaître de « nouveaux » mots, censés annoncer de « nouveaux concepts » pouvant peut-être révolutionner la gestion des organismes du secteur culturel.

La mutualisation fait partie de cette famille. Si le mot est apparu avec une certaine fulgurance dans notre vocabulaire au cours des dernières années, il renvoie pourtant à tout un champ de pratiques collaboratives que l’on applique déjà dans le secteur, que ce soit intuitivement, sans nommer la chose, ou simplement sous d’autres appellations.

Le présent guide ne prétend pas donner la recette pour une mutualisation parfaite. Il vise plutôt à jeter un éclairage sur les principales idées qui sont au cœur de ce mode de collaboration et de répartition de ressources, et aussi sur quelques-uns des concepts qui s’y apparentent. La définition des termes ne vise pas à lancer un débat sémantique, mais bien à comprendre que les mots, au-delà de leur signification réelle, portent aussi une charge cognitive qui peut avoir un impact sur la démarche même de mutualisation.

Il s’agit avant tout de présenter une démarche type et les étapes qui nous semblent essentielles, voire incontournables, pour inclure avec méthode la réflexion et les analyses requises, mener une planification adéquate et ensuite mettre en œuvre le projet qui reflète la réalité de son organisme et de son secteur d’activité.

Nous avons inclus dans le guide quatre exemples tirés du secteur culturel québécois. Ils sont présentés de manière sommaire en soulignant quelques-unes des caractéristiques propres à ces initiatives. Une illustration du modèle présente les grands traits de ce qui est mutualisé dans chacun des cas et un lien vous renvoie à leur site Internet respectif.

En guise de conclusion, nous avons rassemblé quelques énoncés de principes qui décrivent les principales conditions gagnantes pour la bonne réussite d’un projet de partage de ressources et de mutualisation.

Pour les personnes qui voudront creuser davantage quelques-uns des concepts abordés dans le guide, nous avons inclus la liste des références bibliographiques qui leur permettront d’aller un peu plus loin.

Et si une démarche de mutualisation vous interpelle particulièrement et qu’elle est même la raison qui vous pousse à parcourir ce guide, nous avons concocté, en annexe, une « liste de vérification ». Même après avoir pris connaissance des concepts et des différentes étapes, il sera utile d’avoir sous la main une synthèse de ces étapes avec quelques-unes des questions incontournables associées aux réflexions requises.

Enfin, en annexe toujours, le guide propose quelques outils qui appuient la réalisation de certaines étapes de la démarche. Un accès à ces outils est fourni dans la section appelée « Outils pratiques ».

Note de l’auteur

Tous les liens vers des sites Web étaient fonctionnels au moment de la distribution initiale de ce document.

2. Qu’est-ce que la mutualisation, au juste ?

La mutualisation est bien sûr « l’action de mutualiser », mais on ne se contentera pas de cette définition simpliste, alors nous irons un peu plus loin. Mutualiser implique l’idée de répartition, de partage, de mise en commun de « quelque chose ». L’autre idée impliquée est qu’on doive être plusieurs pour mutualiser cette « chose ». Cela paraît évident, mais il importe de le souligner parce que le fait d’être plusieurs, comporte d’autres incidences que nous détaillerons un peu plus loin.

Revenons à cette « chose » que l’on répartit, partage ou met en commun. Quelle est-elle ? Avec un peu d’imagination, on constatera qu’il y a une infinité de « choses » que l’on peut mutualiser. Par exemple, on peut mutualiser :

  • des espaces, des équipements, des ressources matérielles ;
  • des employé.e.s, des savoir-faire, des connaissances ;
  • une composante de sa mission, comme des services aux membres ;
  • un projet précis, un événement que l’on réaliserait à plusieurs ;
  • un risque lié à des activités ou à des actions.

Les possibilités sont de toute évidence multiples et nous en découvrirons leurs applications possibles tout au long de ce guide.

La mutualisation appelle une autre notion importante : si on cherche à mutualiser « quelque chose » avec d’autres personnes ou organisations, c’est que l’on espère en tirer un bénéfice ou un avantage quelconque. Nous nous attarderons à ces raisons potentielles dès la première partie de la section consacrée à la démarche-type, intitulée « Impulsion ».

Le dernier ingrédient important que l’on se doit d’invoquer pour finir de mettre la table et comprendre le concept de mutualisation est en fait lié à sa racine latine. Mutualiser vient du latin mutuus qui signifie « réciproque ».

En somme, on comprend donc que dans une démarche de type mutualisation, plusieurs personnes ou organisations répartissent, partagent ou mettent en commun « quelque chose » pour en tirer un avantage quelconque, dans un esprit de réciprocité.

2.1 Termes et concepts parents

Alors que nous nous sommes attachés à esquisser les grandes lignes de la mutualisation en tant que concept, on ne peut ignorer que le champ lexical dans lequel on le retrouve est assez vaste. La figure précédente illustre quelques-uns des termes qui peuvent être parents ou bien référer à des concepts qui se chevauchent en partie.

Il est tentant de vouloir cerner dans l’absolu la portée de plusieurs de ces termes pour en clarifier le sens et les champs de référence. Il peut toutefois s’avérer difficile de définir avec précision certains de ces termes parce qu’ils prennent parfois un sens différent selon que l’on se retrouve dans le domaine de la gestion, de l’économie, des affaires juridiques, de l’informatique, de l’histoire ou de la politique.

Prenons par exemple le mot mutualisation. Si dans le contexte de la gestion des organisations il réfère au sens que nous avons décrit précédemment, dans le contexte précis du domaine des assurances, il signifie « processus permettant à une société d’assurance par actions de se convertir en une société d’assurance mutuelle »1. Ce n’est pas du tout la même chose.

La collaboration est un terme inclusif qui réfère généralement à l’action de travailler ensemble avec une ou plusieurs parties. Nous nous y référerons fréquemment.

La coopération, au sens qu’on lui donne généralement en gestion, sous-entend un travail réalisé en commun, avec un but commun. Nous ne sommes pas si loin de la collaboration. Les ancrages de ce mot dans le domaine de l’économie ajoutent à la connotation du mot une notion de « partage de bénéfices » entre les contributeurs, souvent au prorata de l’effort.

Qu’en est-il du concept de partage de ressources ? Positif ou négatif ? Selon les personnes, le verre sera à moitié vide ou à moitié plein. En effet, pour plusieurs, le partage implique que l’on divise et que l’on remette à d’autres ce que l’on détient individuellement. Pour d’autres, le partage sous-entend la propriété collective d’un ensemble plus grand. A-t-on renoncé en partie à des ressources limitées, ou a-t-on accédé à plus de ressources que celles dont on disposait précédemment ? C’est parfois juste une question de perception ou… de posture éthique.

Revenons au mot mutualisation. Peut-être est-ce le fait qu’il soit associé de loin au domaine de l’assurance et de la gestion du risque, mais il semble que pour certaines personnes le mot « mutualiser » porte une charge négative. Même le dictionnaire Antidote le définit au premier chef comme « Répartir (une chose désagréable) entre les membres d’une collectivité »2. L’intention n’est pas du tout de faire une leçon sur le sens des mots, mais de rappeler qu’ils portent des significations différentes selon le domaine, le contexte et aussi l’expérience qu’en ont eu les personnes qui les utilisent ou les entendent. L’exercice n’est pas vain, puisque dans le cadre d’une démarche où l’on aura à manipuler des mots, à les communiquer à d’autres, il apparaîtra nécessaire de s’assurer que ceux-ci auront une connotation équivalente pour tout le monde, sinon le premier malentendu concernera les mots mêmes que l’on souhaite partager.

1. Office québécois de la langue française, 2007, http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8396281. Consulté le 31 août 2019

2. Antidote 10, version 2.1 [Logiciel], Montréal, Druide informatique, 2019.

2.2 Mise en perspective

Au-delà de ces définitions qui peuvent paraître statiques, la mutualisation se trouve aussi au carrefour de deux champs qui se rencontrent : celui de la collaboration — en tant que mode de travail — et celui du changement dans les organisations.

Comprendre les notions qui s’y rattachent pourra s’avérer utile pour anticiper quelques obstacles qui pourraient survenir lors de chacune des étapes d’une démarche de mutualisation, et particulièrement lors de sa mise en œuvre.

La collaboration : le travail à plusieurs

Nous avons déjà abordé brièvement la notion de collaboration en tant que concept parent de la mutualisation. L’aspect que nous soulignerons ici est que la collaboration est nécessairement un travail à plusieurs et que cette dynamique implique un certain nombre de constats simples, mais dont on doit tenir compte. Ainsi, la collaboration implique :

  • Qu’on n’est pas tout seul
  • Que les autres sont fort probablement différents
  • Qu’ils font les choses différemment
  • Qu’ils comprennent les choses différemment
  • Qu’il faut du temps pour se connaître
  • Qu’il faut du temps pour faire des choses ensemble

Dans le cadre d’une démarche de mutualisation, on retrouvera plusieurs des défis propres à tout projet qui rassemble plusieurs personnes souhaitant travailler en principe vers un objectif commun, mais dont les méthodes ne sont pas forcément les mêmes. Voici quelques-uns de ces défis.

Manque d’implication :

Dans un projet commun, tous ne partagent pas nécessairement la même intensité ou assiduité dans la réalisation de celui-ci. Les raisons peuvent être différentes et tout à fait légitimes. Une asymétrie de l’implication est possible, pourvu que tout le monde soit d’accord, mais il y a toujours un point de rupture en deçà duquel ce n’est plus un projet collectif ou partagé.

Lourdeur et complexité des règles :

Pour réguler la collaboration et l’implication des parties, il est souhaitable de se fixer des règles afin de clarifier les attentes et systématiser les interactions les plus importantes. L’élaboration et la mise en place de règles trop complexes ou trop lourdes peuvent toutefois saper la motivation, prendre beaucoup de temps et créer un climat de méfiance.

Perte de vue des objectifs, de l’identité commune :

Comme un projet de mutualisation peut parfois se réfléchir et se déployer durant un laps de temps considérable, il est facile d’errer et de s’éloigner des objectifs premiers. Ajoutons qu’en cours de processus, certaines personnes peuvent quitter un organisme et de nouvelles peuvent s’y joindre, ce qui peut compliquer l’exercice. Il est difficile de faire abstraction de ces mouvements, mais à moins d’une transformation majeure du profil et des intentions des personnes en place, il faut ramener constamment au premier plan les objectifs de départ ainsi que l’identité commune, le NOUS, qui aura été forgé durant les étapes de réflexion collective.

Divergence et concurrence :

Des organismes qui envisagent de mutualiser « quelque chose » œuvrent souvent dans le même secteur. Ils sont parfois même volontairement ou non des concurrents, ne serait-ce qu’au regard des pouvoirs publics qui financent peut-être aussi les missions de leurs partenaires. Il s’agit alors de discuter ensemble de ces questions pour convenir de discours et de pratiques qui ne viennent pas saper les fondements du travail de collaboration qui se mettra en place.

L’impact du « changement » sur les organisations

Comme nous venons de le voir, un processus de mutualisation sous-tend nécessairement que l’on passe d’une dynamique individuelle à une dynamique à plusieurs. Comme nous le verrons plus tard, cette mutualisation de « quelque chose » vise — du moins en partie — à modifier le fonctionnement des organismes qui acceptent de participer au processus. Ces deux phénomènes impliquent que l’on doive décrire cette situation comme en étant une de « changement » organisationnel qui modifie le paysage pour les différentes parties prenantes de l’organisation.

Le « changement » est obligatoirement une transformation en quelque chose de différent, le passage d’un état à un autre, le plus souvent du connu, à de l’inconnu. Toutefois, rappelons que ce qui est connu pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre. L’expérience passée des individus peut donc fortement teinter leur manière d’aborder ce changement. Au sein d’une organisation, les perspectives sont également multiples. Par exemple, les personnes ayant fondé un organisme ne portent pas nécessairement le même regard sur le développement de cet organisme que les personnes qui y travaillent de manière ponctuelle ou depuis peu de temps. Le regard sur le passé ou l’avenir découle aussi de l’expérience qu’une personne a d’une organisation et de son engagement envers celle-ci.

Lorsqu’on aborde la question du changement dans les organisations, on tend à y associer la notion de « résistance au changement ». Certains croient que c’est un phénomène naturel, voire incontournable, tandis que d’autres estiment que cette résistance est le fruit de changements mal planifiés ou mal conduits. Qu’en est-il vraiment ?

Il est vrai que la soi-disant résistance au changement tend à être démonisée alors qu’elle est une composante naturelle, constructive même, du changement. Les interrogations, remises en question et critiques peuvent être perçues négativement, alors qu’elles conduisent potentiellement à des améliorations ou à des clarifications d’intentions. Des changements mal planifiés, préparés à l’insu des personnes qui en subiront les impacts, susciteront ce type de réaction, mais il serait mal avisé de les en blâmer.

Il est vrai aussi que cette « résistance » au changement est réelle et qu’elle n’apparaît pas nécessairement constructive au premier regard. Elle peut même être difficile à cerner si on l’aborde avec simplisme. Cette résistance peut en fait dépendre d’un grand nombre de facteurs qui appellent une diversité de moyens de les prendre en compte. Ces facteurs peuvent :

  • Dépendre de variables individuelles (précarité financière, psychologique, etc.)
  • Dépendre de variables liées au collectif (système d’ancienneté, perte d’influence au sein d’un groupe, etc.)
  • Avoir une connotation politique ou culturelle (divergence de vues sur les buts poursuivis, divergence de valeurs ethnoculturelles)
  • Être liés au système organisationnel (ne favorise pas la mise en place ou le suivi, n’a pas la capacité d’absorber les changements, etc.)
  • Être liés à la mise en œuvre même du changement (mal préparés, mal planifié, etc.)
  • Être liés au changement lui-même (pas mûr, pas vraiment pertinent, etc.)

Dans tous les cas, il s’agira de tenir compte des perspectives multiples (administrateurs.trices, gestionnaires, employé.e.s, membres…). Il faudra aussi identifier ce qui est modifiable ou non, contournable ou non. On pourra aussi prendre le temps de reconnaître et analyser les défis, de planifier et prioriser les actions, et surtout de communiquer avec les personnes impliquées à toutes les étapes.

3. Démarche type : les étapes

Bien que la mutualisation couvre un spectre très large de pratiques dans une multiplicité de contextes, il est possible d’identifier des étapes génériques faisant partie d’un continuum de réflexion et de planification qui améliore les chances de succès. Il faut surtout retenir que la démarche type proposée vise à être méthodique, de manière à laisser le moins de choses possible au hasard.

Au premier coup d’œil, le modèle proposé apparaîtra linéaire, mais nous verrons tout au long des sections suivantes qu’il est en fait itératif — c’est-à-dire constitué d’allers-retours entre les étapes. Pour certains de ces aspects, il est même circulaire puisqu’il oblige à garder à l’œil l’ensemble des étapes si on veut parvenir à un projet durable. Nous aborderons cette question plus loin.

Le continuum de la démarche type

3.1 Impulsion

Nous avons précédemment mentionné quelques exemples de ce qui peut être mutualisé et nous avons vu que plusieurs aspects d’une organisation peuvent faire l’objet d’une mise en commun avec d’autres organisations. Avant d’aborder la dynamique d’identification des « choses » que l’on pourrait mutualiser, il est essentiel de s’attarder à un autre aspect qui tend à être négligé. Il s’agit du « pourquoi » mutualiser, qui doit pourtant précéder le « comment » mutualiser. On parle ici des bénéfices qu’on aurait à mettre en commun « quelque chose ».

Les raisons de procéder à la mutualisation d’un ou de plusieurs aspects d’une organisation peuvent être nombreuses et très diverses. Elles peuvent même être différentes pour les divers organismes qui composent un même projet de mutualisation.

Alors que le besoin de mutualiser peut simplement être le fruit d’un ressenti intuitif pour certains, il sera le produit d’une réflexion rationnelle pour d’autres. Il importe toutefois de
se donner des bases communes de réflexion pour faciliter les échanges au sein d’un groupe.

Nous avons à cette fin regroupé les raisons les plus courantes en trois catégories : les raisons économiques, les raisons stratégiques ou politiques et enfin, les raisons philosophiques.

Raisons économiques

Les raisons économiques sont celles que l’on tend à évoquer le plus souvent. Généralement, en mutualisant certaines ressources ou certaines activités, on estime pouvoir obtenir des gains en efficacité pour mieux réaliser les activités de sa mission. On peut ainsi mettre des « choses » en commun pour :

  • acquérir une expertise ou une ressource dont on ne disposait pas, mais dont un partenaire dispose ;
  • bonifier des activités en accédant à une capacité opérationnelle supérieure ;
  • réaliser des économies sur certains coûts de fonctionnement.

Toutes ces raisons sont bien sûr valables, mais on surestime souvent les économies réalisables par la simple mutualisation. Le processus de concertation qui accompagne nécessairement une dynamique à plusieurs tend à mitiger ces économies, surtout lorsqu’elles sont marginales. On préférera mettre l’accent sur le plus et le mieux, plutôt que simplement sur le moins cher.

Raisons stratégiques ou politiques

Dans le cadre d’un projet de mutualisation, on pourrait dans certains cas procéder à une reconfiguration des différentes activités pour certaines des raisons évoquées précédemment, mais dont la motivation principale serait de nature stratégique ou politique.

Ainsi le redéploiement des ressources ou des activités par les organisations impliquées peut viser à :

  • produire plus d’impact dans un secteur donné ;
  • étendre son influence à l’échelle d’un territoire ;
  • accroître la résilience d’organismes autrement isolés ;
  • créer une voix plus forte, moins contournable, auprès des pouvoirs publics.

Raisons philosophiques

Si elles semblent parfois plus difficiles à cerner, les raisons philosophiques demeurent tout de même un moteur important pour inciter des organisations à travailler ensemble, à partager des ressources, des expertises, des lieux, des équipements. Si le bénéfice tiré de la collaboration permet de renforcer les valeurs défendues par les organismes impliqués, on associera cette motivation à des raisons philosophiques. Parfois c’est la dynamique même de la collaboration — sa posture éthique — qui est au centre de la démarche. Elle permet aux organismes de transposer le réflexe collaboratif à l’échelle de ses parties prenantes (membres, publics, etc.) et de leur faire bénéficier de ces nouvelles interrelations.

Les raisons évoquées ci-dessus sont à considérer d’un point de vue global. Nous savons que « le diable est dans les détails » et c’est à l’étape de la réflexion et de l’analyse que les bénéfices — ou inconvénients — pourront être découpés selon les divers volets de l’activité d’un organisme.

3.2 Réflexion

Une démarche de mutualisation implique nécessairement plusieurs parties qui se connaissent à des degrés divers. On peut certes avoir tendance à tenir pour acquis que l’on est complémentaire, surtout si de multiples collaborations entre les organismes ont eu lieu dans le passé, ou qu’il existe déjà une proximité entre les organisations. Toutefois, il est aussi possible que l’on ne connaisse pas tous les aspects du fonctionnement de l’autre, ou qu’on ne le connaisse qu’en surface.

Puisqu’il est important de savoir avec qui on s’engage et de prévenir les écueils, il est judicieux de prendre le temps d’établir un portrait à la fois de l’autre organisation, mais aussi de la sienne. Ce sont des démarches qui peuvent être menées séparément, tout autant qu’il est possible de procéder à l’exercice ensemble, simultanément, dans le cadre d’une stratégie de partage et d’échange d’informations en temps réel. À terme,  la réalisation de cette étape devrait permettre de répondre à ces deux questions :

  • Qui suis-je ?
  • Qui est l’autre ?

Comme pour bien des étapes décrites dans ce guide, il est clair que l’exercice d’autoanalyse doit refléter la complexité du projet. Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse détaillée de toutes les composantes d’un organisme, si l’initiative ne concerne qu’un volet très précis d’une activité et pour une période limitée. En revanche, l’outil d’autoanalyse présenté plus loin peut être utilisé comme aide-mémoire. L’autoanalyse est donc en quelque sorte un guide pour la conversation qui s’amorce entre des organisations.

Une grille d’autoanalyse varie selon le profil des organisations et du secteur d’activité. Des grilles pour des centres d’artistes de diffusion et/ou production seront donc différentes de celles de festival ou bien d’organismes de service ou d’associations.

Dans le cadre de ce guide, la grille d’autoanalyse d’un centre d’artistes est présentée de manière détaillée. L’annexe B propose des liens vers d’autres modèles de grilles qui peuvent convenir à d’autres types d’organisations ou d’autres secteurs, comme celui des arts de la scène.

Une grille de ce type peut couvrir plus d’une cinquantaine de rubriques. Pour les centres d’artistes, nous les avons regroupées selon les volets suivants :

  • Identité
  • Membrariat
  • Installations et équipements
  • Programmes et services/expertises
  • Communication
  • Administration
  • Autres caractéristiques essentielles

Grille d’autoanalyse détaillée pour un centre d’artistes

Pour chacun des volets, on trouvera des rubriques qui permettent de saisir les particularités d’un organisme. Il s’agit de remplir cette grille en décrivant de manière très synthétique les principales caractéristiques de l’organisme, de son fonctionnement et de ses interactions. On doit ensuite qualifier chaque aspect : est-ce une force ou une faiblesse ? Si ce n’est ni une force, ni une faiblesse, nous emploierons le terme neutre. Si la rubrique n’est pas pertinente, on peut simplement la biffer.

La série de tableaux qui suit est une illustration du modèle de la grille.

Une version utilisable de la grille est téléchargeable en cliquant ici.

Identité

Par identité, on entend tout ce qui reflète l’essence de l’organisation et son positionnement dans le secteur d’activité qu’il occupe.

Rubrique

Description

Force, faiblesse ou neutre

Mission/Mandat
Valeurs
Historique
Rôle dans l’écosystème
Partenariats avec d’autres centres

Membrariat

Dans cette section, on tente de circonscrire les caractéristiques principales du membrariat que l’on dessert et la qualité de la relation qu’on entretient avec les membres.

Rubrique

Description

Force, faiblesse ou neutre

Champs de pratique
Profil des membres, territoire
Nombre
Recrutement
Avantages d’être membre
Capacité de mobilisation

Installations et équipements

Si l’organisme dispose d’espaces et d’équipements ou vise à en disposer de plus grands ou de meilleurs pour mieux réaliser son mandat, la section suivante permet d’en cerner les caractéristiques.

Rubrique

Description

Force, faiblesse ou neutre

Espaces de création/production
Espaces de diffusion/d’exposition
Autres espaces
Équipements ou outils disponibles
Autres

Programmes et services/expertises

Cette section permet de présenter succinctement ce qui caractérise l’organisme sur le plan des services offerts et des expertises particulières qui sont détenues.

Rubrique

Description

Force, faiblesse ou neutre

Nature des services offerts
Exclusivité de l’offre
Partenaires
Degré d’utilisation des services
Besoins non comblés
Programmes de résidence
Bourses/aide financière
Aide technique/logistique
Soutien à la diffusion/au rayonnement
Programme d’édition
Programme de formation
Médiation culturelle
Autres

Communication

La communication peut ici englober tant le type de positionnement public et d’ancrage médiatique que les outils et les réseaux utilisés pour diffuser ses messages et ses activités, à l’interne comme à l’externe.

Rubrique

Description

Force, faiblesse ou neutre

Reconnaissance du centre
Nature du message
Outils et plateformes utilisés
Réseaux sociaux
Relations de presse
Partenariats médias
Événements promotionnels
Outils de mise en marché
Autres

 

Administration

L’administration regroupe tous les processus de gestion et de financement qui permettent à l’organisme de subsister et de se déployer au quotidien comme à long terme. On y explique sommairement qui fait quoi et comment ; par exemple, si c’est fait à l’interne ou confié à des ressources externes.

Rubrique

Description

Force, faiblesse ou neutre

Planification
Budgétisation
Recherche de financement public
Recherche de financement privé
Rédaction des demandes de financement
Préparation des rapports
Ententes avec les partenaires
Contrats (négociation et rédaction)
Taxes, permis, droits
Informatique et bureautique
Soutien informatique
Achat de fournitures
Comptabilité
Entretien des lieux, gestion immobilière
Gestion de la paie
Gestion du personnel
Documentation et archives
Autres

 

Autres caractéristiques essentielles

Ces diverses rubriques concernent d’autres aspects du fonctionnement de l’organisme, notamment les liens avec certaines de ses parties prenantes : conseil d’administration, pouvoirs publics, membres, autres associations du secteur.

Rubrique

Description

Force, faiblesse ou neutre

Gouvernance
Conseil d’administration
Lien privilégié avec les autorités locales (arrondissement, municipalité, etc.)
Vie associative
Alliances stratégiques
Autres

 

3.3 Diagnostic

Après avoir rassemblé les informations pour mieux comprendre qui nous sommes et qui sont les autres, il s’agit d’évaluer le potentiel de mutualisation en cernant les zones de complémentarité. Cette complémentarité peut viser l’ensemble des caractéristiques d’un organisme, ou seulement une partie.

L’exercice d’analyse s’effectue en comparant les caractéristiques de chaque organisme, leurs forces et faiblesses respectives. À travers la conversation qui a lieu entre les parties en présence — sur les orientations particulières, sur la composition du membrariat, etc. —, on fait émerger les points de convergence ou de divergence, les complémentarités, les synergies possibles. La divergence peut bien sûr être superficielle, mais elle peut aussi être fondamentale ; du moins à un degré tel qu’il devient difficilement imaginable de travailler ensemble. Une divergence profonde sur le plan des valeurs peut être dans certains cas un point d’achoppement important.

Pour mener cet exercice, on reprend la structure de grille d’autoanalyse vue précédemment et on procède à une analyse comparative des réponses de chaque organisation, avec comme objectif de qualifier les différentes rubriques selon le degré de complémentarité. Le tableau suivant présente la structure de la grille diagnostique. Nous y présentons seulement les rubriques du volet identité, mais chacun des volets ferait l’objet du même traitement.

Exemple de la grille diagnostique détaillée

Pour chaque organisme, on inscrit la note d’analyse sommaire qu’on a déterminée pour chacune des rubriques, soit : force, faiblesse, neutre. La conversation permet ensuite de porter un premier jugement. Est-ce un point de convergence, de divergence, une complémentarité, une source de synergies possibles ? Que gagnerons-nous à travailler ensemble ? Perdrons-nous quelque chose ?

Identité

Rubrique

Organisme A

Organisme B

Diagnostic

Mission/ Mandat
Valeurs
Historique
Rôle dans l’écosystème
Partenariats avec d’autres centres

Une version utilisable de la grille est téléchargeable en cliquant ici.

Par la suite, on peut aussi simplifier l’exercice, en faisant émerger les faits saillants des différents volets comme dans l’exemple suivant.

Exemple de grille diagnostique simplifiée

Ce que je suis

Diagnostic

Ce qu’est l’autre

Identité, mission, valeurs Identité, mission, valeurs
Membrariat Membrariat
Installations et équipements Installations et équipements
Programmes, services, expertises Programmes, services, expertises
Communication, réseaux Communication, réseaux
Administration, fonctionnement Administration, fonctionnement
Autres caractéristiques essentielles Autres caractéristiques essentielles

3.4 Modélisation

Ayant en main un diagnostic qui leur permet de bien cerner leurs zones de complémentarité, les partenaires sont mieux outillés pour poursuivre la démarche. C’est maintenant l’étape de conception et de planification de la démarche de mutualisation. Bien sûr, à l’origine, des intuitions ont servi de déclencheurs, mais il s’agit maintenant de persévérer dans l’application d’une démarche méthodique.

La modélisation du projet de mutualisation touche à deux aspects précis. Elle concerne d’abord la fabrication du NOUS qui sera en quelque sorte l’identité distincte de ce qui est mutualisé. Puis elle concerne le COMMENT de cette mutualisation.

La fabrication du NOUS

Le NOUS est l’équivalent de la mission d’un organisme. Il devrait pouvoir cerner la raison d’être de la mutualisation et d’en englober tous les aspects. Il doit aussi permettre de distinguer la mission du partenariat ou du projet — qu’importe sa forme —, de la mission propre de chacun des partenaires. Dans un premier temps, la fabrication du NOUS est essentiellement technique, voire descriptive ; elle sert à préciser les contours du groupe ou du projet. Elle pourra ensuite, selon la nature du projet de mutualisation, prendre une ampleur plus symbolique, à portée identitaire même, pour l’ensemble des parties impliquées. Il deviendra alors important de continuer à peaufiner ce NOUS, puisqu’il sera la raison d’être et la signature du groupe.

Pour comprendre ce que peut refléter ce NOUS, on peut d’abord tenter de répondre à ces quelques questions simple :

  • Qui serons-nous, ensemble ?
  • Qui desservirons-nous ensemble ?
  • Quelles seront nos zones d’intervention communes ?

Des exemples de réponses qui illustrent différents NOUS possibles :

  • Ensemble NOUS serons le service d’accompagnement qui répondra aux besoins des artistes qui veulent diffuser leurs œuvres à l’étranger.
  • Ensemble NOUS serons l’événement phare du milieu de l’estampe, de l’art action, des arts numériques, etc.
  • Ensemble NOUS serons un regroupement de ressources qui permettra à nos organismes de gérer plus efficacement leurs activités et de communiquer davantage avec les médias.
  • Ensemble NOUS pourrons couvrir les besoins des praticiens du secteur sur tout le territoire du Québec.
  • Ensemble NOUS disposerons d’un lieu partagé de création, de production et de diffusion qui répondra à l’ensemble des besoins de nos missions respectives.

Déterminer le COMMENT

Pour cette étape, il s’agit maintenant de préciser quel sera le périmètre de la collaboration entre les organismes impliqués. En d’autres mots, qu’allons-nous partager au juste ? Nos échanges ou nos partages devront-ils toujours être symétriques ou égaux, ou acceptons-nous que nos organismes disposent de moyens inégaux, et donc de capacités inégales ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles il faudra répondre.

Même si de nombreuses zones de convergences ont pu être identifiées lors des étapes précédentes, il n’est pas nécessairement pertinent de tout partager ou de tout restructurer du premier coup. Plusieurs stades seront peut-être nécessaires pour parvenir à la forme finale désirée. Ces étapes pourront être planifiées dans le cadre du plan de mise en œuvre que nous verrons plus loin.

Il ne suffit pas de déterminer ce que nous allons partager ; il faut aussi statuer sur certaines assises organisationnelles et sur des mécanismes de fonctionnement.

Par assises organisationnelles, nous entendons ce qui concerne la formalisation juridique ou légale de la mutualisation. Le projet de mutualisation peut ainsi obliger les organismes partenaires à modifier leurs lettres patentes respectives ou leurs règlements généraux. Il peut conduire à la fondation d’un nouvel organisme tiers, dans lequel ils concentrent des activités, ou bien à la dissolution d’un des organismes, dans le cas d’une fusion par exemple.

Selon le degré de complexité, il sera peut-être souhaitable d’enchâsser la répartition des responsabilités et des tâches dans un contrat ou une entente de partenariat, à durée limitée ou non.

Peu importe le degré de formalisation de l’entente de collaboration, il faudra rapidement statuer sur un certain nombre de mécanismes de fonctionnement. En particulier, il faudra s’attarder sur deux éléments qui jalonneront la démarche et la mise en œuvre du projet :

  • Les processus de consultation
  • La prise de décision

Les processus de consultation, s’il y a lieu, sont-ils limités à un comité restreint ou concernent-ils un plus grand nombre de parties prenantes ? Seront-ils laissés aux soins de chaque organisme, ou est-ce plutôt un processus collectif ? Quel est le niveau requis d’acceptabilité pour que le projet puisse être mis en marche ?

Quant à la prise de décision, c’est une composante essentielle de la démarche qui doit absolument être balisée. Quel sera le mode de décision adopté par les participants ? Par vote ? Par consensus ? Par tirage au sort ? Les décisions seront-elles définitives ou devront-elles être validées par une autre instance ?

3.5 Réalisation

Comme pour la concrétisation de n’importe quel projet, la réalisation du projet de mutualisation implique deux volets essentiels :

  • La planification
  • La mise en œuvre

Planification

Pour l’étape de la planification, il sera utile de se doter d’outils communs pour canaliser les intentions des différentes parties vers les objectifs communs. Les balises et les méthodes typiquement déployées dans les démarches de planification stratégique1 peuvent être utiles pour s’entendre entre partenaires de mutualisation. Les mécanismes de consultation et de concertation qui y sont typiquement associés représentent aussi un bel outil de mobilisation au sein même de chaque organisme et de ses parties prenantes (employés, CA, membres, etc.).

Au sein du « plan stratégique » qui découlera de cet exercice, on trouvera généralement les composantes suivantes :

  • Une synthèse de la vision et des valeurs (en particulier le NOUS qu’on aura déterminé auparavant)
  • Les axes d’intervention concernés (ex. : communications, gestion, développement artistique, relations avec les membres, etc.)
  • Les principales orientations et les stratégies associées.

Essentiellement, ce que l’on souhaite au terme de cette étape de planification, c’est de pouvoir répondre à la question suivante pour chaque aspect du projet de mutualisation :

  • Que voulons-nous accomplir et comment allons-nous y parvenir ?

Exemple 1

  • Axe : Espaces de travail
  • Orientation : Partager un espace de production
  • Objectif : Offrir à nos membres un espace à coût raisonnable, dont ils ne disposaient pas auparavant

Exemple 2

  • Axe : Communication
  • Orientation : Partage d’une ressource aux communications
  • Objectif : Accroître notre capacité à engager et retenir une personne compétente et expérimentée pour améliorer la fluidité et la fréquence des communications avec nos membres, le public et nos partenaires.

Mise en œuvre

Pour la mise en œuvre, l’outil de prédilection est le plan d’action. Celui-ci rappelle une partie des éléments nommés dans le plan stratégique, puis cerne clairement les actions, les moyens ou les ressources qui sont mobilisés pour les réaliser. On y trouvera :

  • Orientations (partage d’un espace, regroupement de ressources, lancement d’une initiative commune…)
  • Les stratégies (améliorer, mobiliser, offrir…)
  • Les moyens (documenter, rédiger, réunir, acquérir, louer…)
  • Le nom de la personne responsable ou porteuse de l’action, ou le titre du poste qui en assurera le suivi
  • Les cibles à atteindre (un chiffre, un pourcentage, etc.)
  • La référence au temps de réalisation (mois ou année, selon le contexte)

Ces outils faciliteront la mise en œuvre. Il s’agira de suivre les étapes du plan d’action. Tout au long des étapes, même une fois le projet lancé, il faudra s’assurer de maintenir le dialogue avec ses partenaires en s’obligeant à des rencontres statutaires (régulières et obligatoires). Si on s’attend à des impacts significatifs ou des défis sur le plan de l’acceptabilité, il faudra prévoir la mise en place d’un plan de communication. Le plan stratégique et le plan d’action devront alors faire mention des objectifs et du message, de façon à ce que tous partenaires parlent le même langage. Dans tels processus où parfois un nombre restreint de personnes travaillent intensivement à une démarche, il est facile de perdre de vue que le reste de la planète n’est pas nécessairement sur la même longueur d’onde. On s’assurera donc de communiquer, communiquer, communiquer autant à l’interne qu’à l’externe, et de ne jamais rien prendre pour acquis !

Le plan d’action s’avérera autant un outil de planification qu’un outil administratif servant à faire les suivis essentiels. Son ampleur dépendra du nombre d’orientations, de stratégies et d’actions retenues.

Une grille-type de plan d’action téléchargeable en cliquant ici.

1. « Processus de prise de décision à long terme par lequel une organisation détermine ses choix d’orientation et de développement ainsi que les programmes d’action qui ont pour objectif d’assurer la mise en œuvre de ces choix. » Office québécois de la langue française. Consulté le 25 août 2019. http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=2069429

3.6 Évaluation

Comme pour tout projet, l’étape de l’évaluation est incontournable pour parvenir à cerner les améliorations à apporter. Cette évaluation devrait notamment permettre de :

  • Déterminer ce qui fonctionne ou pas
  • Identifier les cibles atteintes ou non
  • Relever les impacts des actions
  • Comprendre
  • Ajuster
  • Recommencer

Bien que dans un modèle linéaire — comme celui présenté en début de ce guide —, on situe l’étape de l’évaluation et des améliorations en fin de séquence, elles devraient en fait traverser toutes les étapes. Dans un modèle itératif qui est plus conforme aux pratiques sur le terrain, le processus donne lieu à des allers-retours entre les différentes étapes. L’évaluation est alors pratiquée de manière constante et les améliorations sont appliquées au fur et à mesure.

Modèle circulaire

Dans un modèle de type circulaire, on peut aussi faire apparaître un élément intéressant de la dynamique du processus. Chaque étape, en plus de préparer la suivante, sert à alimenter le « NOUS » qui se trouve au cœur de toute démarche de mutualisation.

Exemples de questions

  • Y a-t-il des mécanismes ou des changements que nous avons mis en place, mais qui ne fonctionnent pas comme prévu ?
  • Dans quelle mesure les cibles fixées ont-elles été atteintes ?
  • Nos actions ont-elles provoqué les conséquences voulues ou y a-t-il eu des effets dominos et des impacts non prévus ?
  • Ces impacts sont-ils véritablement le résultat de nos actions ou est-ce le produit d’une modification du contexte ou de facteurs hors de notre contrôle ?
  • Quels ajustements pouvons-nous apporter à notre projet et à sa mise en œuvre pour se rapprocher encore davantage de nos objectifs et de nos cibles ?

4. Quelques exemples tirés du secteur culturel

Le secteur culturel regorge d’organismes qui ont mis en œuvre des collaborations de toutes sortes au fil des ans. Comme dans les autres secteurs de notre société, la mutualisation peut s’exercer sous de multiples formes. Certaines sont plus complexes. D’autres sont plus formelles. D’autres encore sont plus permanentes. Nous vous proposons quelques exemples pour en illustrer la variété. Les illustrations des modèles associés aux organismes ne visent pas à refléter les mécanismes de la gouvernance, mais bien à mettre en relief les zones où un NOUS a été créé, et où ont été mutualisés des lieux, des ressources, des services, des activités ou toute autre « chose » mutualisable.

4.1 PRIM + Dazibao

Type d’organisations : deux centres d’artistes autogérés

La mission de PRIM est double : appuyer la formation des artistes indépendant.e.s par un programme pédagogique et appuyer la production d’œuvres médiatiques par des programmes de soutien à la création. De son côté, Dazibao est un centre de diffusion des pratiques actuelles de l’image. Dazibao et PRIM se sont unis pour créer une résidence de production-diffusion permettant aux artistes de produire et de diffuser une œuvre, tout en étant accompagné.e.s pendant le processus.

Liens : PRIM, Dazibao

4.2 VIVA! Art Action

Type d’organisation : collectif de centres d’artistes autogérés

Objet : Fondé par six centres d’artistes autogérés du Grand Montréal, VIVA! Art Action était en 2019 un partenariat de dix centres d’artistes consacré à la production d’un événement majeur lié à la diffusion et à l’avancement des savoirs et des pratiques d’art action. Cette collaboration a permis la tenue de sept éditions de la biennale VIVA!.

Lien : VIVA!

4.3 Spira

Type d’organisation : un centre d’artistes autogérés résultant de la fusion de deux centres d’artistes autogérés.

Objet : Résultat de la fusion entre Spirafilm et Vidéo Femmes, deux organismes de Québec consacrés au cinéma indépendant. C’est un cas de « fusion » exemplaire en raison du soin alloué aux étapes de réflexion et de planification. Et aussi pour l’attention qu’on a accordée aux valeurs et aux réalisations passées de l’organisme qui s’est « intégré ».

Lien : Spira

4.4 Circuit-Est centre chorégraphique

Type d’organisation : un centre chorégraphique réunissant sous un même toit neuf membres, soit des compagnies et des artistes de la danse.

Objet : Circuit-Est a érigé le partage de ressources en modèle organisationnel unique. Il participe à l’écologie du milieu de la danse en démontrant que des collaborations et des liens de solidarité sont possibles entre professionnels. Les mutualisations pratiquées sont à géométrie variable : espaces de création, bureaux, services administratifs, communications, événements-bénéfice, etc.

Lien : Circuit-Est

5. Conditions gagnantes et conclusion

La mutualisation dans ses diverses déclinaisons est un processus dont la complexité varie selon la forme qu’elle va prendre. Bien que l’on sache que la collaboration et la coopération sont des manières de travailler ensemble qui existent naturellement depuis la nuit des temps, rappelons que le malentendu, la divergence, le conflit, et la rupture datent d’aussi loin.

Suivre les étapes proposées tout au long de ce guide ne garantit pas le succès, mais permet d’éviter quelques obstacles. Voici quelques énoncés de principe qui proposent des conditions et des pratiques pour augmenter les chances de concrétiser ses intentions et de parvenir à ses fins.

  • Le désir de travailler ensemble est préalable. Une mutualisation non désirée, voire imposée, s’avérera beaucoup plus difficile.
  • La transparence et la communication entre les parties doivent être au cœur de toutes les étapes.
    Même si toutes les étapes ont leur importance, les trois composantes suivantes en sont les véritables charnières :

    • La réflexion et le diagnostic : ce sont les bases du modèle que l’on s’apprête à bâtir.
    • La planification : c’est la base de la mise en œuvre du modèle.
    • L’évaluation : c’est la base de la durabilité du projet.
  • La subjectivité et même une certaine émotivité sont impossibles à éliminer complètement dans une telle démarche qui exige une bonne dose de rationalité. Il faut se fier certes à son intuition, mais aussi la vérifier sur le terrain, auprès des membres, des employé.e.s ou des partenaires.
  • Il faut toujours se rappeler que la mutualisation n’est pas une fin en soi, mais un moyen de mieux réaliser sa mission et son mandat. Lorsqu’il y a un doute, on doit prendre le temps de revenir à la base et de se poser quelques questions simples qui éviteront à toutes les parties impliquées de se disperser et de verser dans une démarche vide de sens :
    • Quelle est notre mission, déjà ?
    • Quelles sont les valeurs qu’on ne veut pas compromettre ?
    • Quelles sont les raisons fondamentales qui ont provoqué cette démarche ?
    • Quel est ultimement le grand objectif ?
  • Ajoutons aussi quelques questions sur le contexte changeant d’un dialogue entre de multiples organismes :
    • Sommes-nous toujours sur la même longueur d’onde ?
    • Les conditions du secteur ont-elles changé depuis le début de notre démarche ?

En somme, tous ces outils et ces bonnes pratiques visent à faciliter des processus potentiellement complexes en les objectivant au moins en partie. L’intuition aura toujours sa place et les personnes impliquées seront toujours les mieux placées pour déterminer ce qui est nécessaire, compte tenu des circonstances et du projet.

Rappelons tout de même que pour des projets de mutualisation plus complexes comme une fusion ou une démarche qui implique un grand nombre de partenaires, il peut être nécessaire et même souhaitable d’envisager les services d’un.e facilitateur.trice externe. Une ressource experte peut aider à voir clair dans les analyses et animer des rencontres de travail avec le détachement requis pour parvenir aux résultats voulus.

6. Références bibliographiques

La liste qui suit présente les références bibliographiques des principaux articles et ouvrages consultés pour enrichir certaines sections de ce guide. Elle permettra aux personnes qui veulent approfondir certains thèmes d’aller un peu plus loin.

Bareil, Céline. La résistance au changement : synthèse et critique des écrits. HEC Montréal, Centre d’études en transformation des organisations, Cahier no 04-10, 2004, 17 p., http://web.hec.ca/sites/ceto/fichiers/04_10.pdf, Téléchargé le 23 avril 2019.

Deniau, Marie. Étude exploratoire sur les nouvelles pratiques de mutualisation ou de coopération inter-organisationnelles dans le secteur culturel. Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, 2014, 101 p.

Fouché, André et Virginie Vigne. Étude de faisabilité d’un système de mutualisations des charges administratives des compagnies professionnelles du Spectacle Vivant en région Haute-Normandie. Rouen, SYNAVI 7627, France, 2005, 40 p.

Godin, Geneviève. Collaboration entre artistes en arts visuels : développement d’outils pour une dynamique de groupe en contexte professionnel. Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 2014, 154 p.

Sourisseau, Réjane. Groupements d’employeurs et associations artistiques et culturelles — enjeux et expériences. Paris, Association Opale/CRDLA Culture, 2010, 97 p.

« Conduite du changement », Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Conduite_du_changement, Consulté le 31 août 2019.

Annexe A — Liste de vérification

Impulsion

Nous savons POURQUOI nous amorçons cette démarche de mutualisation.

Réflexion

Nous savons QUI nous sommes.

Nous savons qui est L’AUTRE ou qui sont LES AUTRES.

Diagnostic

Nous savons en quoi nous sommes complémentaires et ce que nous pouvons nous apporter.

Modélisation

Nous savons qui NOUS serons ensemble.

Nous savons COMMENT nous serons ensemble.

Réalisation

Nous avons cerné nos STRATÉGIES et nos OBJECTIFS.

Nous avons PLANIFIÉ notre mise en œuvre en élaborant un PLAN D’ACTION.

Évaluation

Nous avons prévu un calendrier de rencontres pour assurer un suivi du plan d’action et faire des RÉTROACTIONS.

Nous avons identifié CE QUI MARCHE BIEN OU NON.

Nous avons cerné les AMÉLIORATIONS à apporter au projet.

La liste présentée ci-dessus peut être téléchargée ici.

Annexe B — Outils pratiques

Ayant été élaborés dans des contextes bien précis, les outils présentés ci-bas et à la page suivante peuvent ne pas convenir à toutes les situations. Il ne faut donc pas hésiter à les transformer et à les adapter en fonction du secteur et des parties en présence.

Grille d’autoanalyse et grille diagnostique

  • Pour un centre d’artistes autogéré de diffusion et/ou production
  • Pour un événement ou un festival
  • Pour un organisme de services ou une association
  • Pour un organisme de création/production en arts de la scène

Autres outils

  • Grille-type de plan d’action
  • Liste de vérification (suivi des étapes)

La trousse complète des outils peut être téléchargée ici.

Autres ressources utiles

Certains organismes du secteur offrent aussi des outils ou des modèles de documents pour faciliter la réalisation de certaines étapes mentionnées dans la description de la démarche type. Des outils de réflexion sur la mission et les valeurs, des outils de planification stratégique et de planification des actions, ainsi que des modèles de plan de communication sont notamment proposés par La Machinerie, parmi une centaine d’outils pratiques destinés au milieu artistique. Ces outils sont accessibles gratuitement pour les membres et le membership est offert à coût minime. Voir la Caisse à outils de La Machinerie.

Biographie de George Krump

Artiste, gestionnaire, consultant, chercheur et formateur, George Krump évolue dans le milieu des arts et de la culture depuis près de trente ans. Il a réalisé au sein de la firme DAIGLE/SAIRE, et pour plusieurs autres organismes et artistes, de nombreux mandats liés au développement culturel ou professionnel, aux enjeux de ressources humaines, à la planification stratégique et aux synergies créées entre organisations qui collaborent ou mutualisent des ressources. Il est aussi président et cofondateur de la Machinerie des arts, un organisme de soutien et de services aux artistes.

Le RCAAQ en bref

Le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec est un organisme national de représentation dont le mandat est de servir, rassembler, représenter et promouvoir les centres d’artistes autogérés du Québec.

Le RCAAQ supporte les activités de recherche liées à l’expérimentation artistique, souscrit à la gestion par les artistes, dispose d’un programme de formation continue destiné à la fois aux travailleurs culturels et aux artistes professionnels et soutient le déploiement de l’art dans la société.

Le RCAAQ est le point de rencontre d’un réseau de près soixante-dix centres d’artistes répartis sur l’ensemble du territoire québécois.

Remerciements

Merci à George Krump pour sa précieuse collaboration à la réalisation de ce guide, merci également à Patrick Vézina pour le travail de graphisme et de mise en page, ainsi qu’à Denis Lessard pour la révision des textes. Merci aussi à toute l’équipe du RCAAQ qui a participé de près ou de loin à cette publication.

La réalisation du Petit Guide orange du partage des ressources et de la mutualisation a été possible grâce au soutien financier du Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre de la Commission des partenaires du marché du travail du Québec.

LE PETIT GUIDE ORANGE
DU PARTAGE DES RESSOURCES
ET DE LA MUTUALISATION

Coordination : Catherine Bodmer
Rédaction : George Krump
Révision : Denis Lessard
Graphisme et mise en ligne : Patrick Vézina
Réalisation du document :
Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec
2, rue Sainte-Catherine Est, espace 302 / Montréal QC H2X 1K4
T (514) 842-3984
Distribution : RCAAQ / Pour commander : administration@rcaaq.org

©

Dépôt légal – 2019
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
ISBN : 978-2-9803946-7-6